Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, souhaite prolonger la durée de rétention des personnes migrantes en CRA jusqu’à 210 jours et remplacer les associations fournissant une aide juridique par l’OFII. Mais ces mesures de fermeté sont inefficaces quant au nombre d’expulsions, tandis que la santé mentale des personnes retenues se dégrade gravement. En 2023, des placements illégaux et des conditions préoccupantes d’enfermement ont accentué les violations des droits des personnes exilées, suscitant l’inquiétude des associations.
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a récemment annoncé une nouvelle proposition de loi sur l’immigration, visant à prolonger le délai de rétention dans les centres de rétention administrative (CRA) de 90 à 210 jours. Cette mesure fait suite à une énième loi « Asile et Immigration » promulguée en janvier 2024, qui fragilise davantage les droits des personnes exilées. Il a également annoncé souhaiter le retrait des associations qui assurent le conseil juridique des personnes retenues (Forum réfugiés, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte) au profit de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Les CRA sont des lieux d’enfermement dans lesquels l’administration française place des personnes étrangères pour permettre leur éloignement vers leur pays d’origine, suite à une obligation de quitter le territoire français (OQTF), une interdiction de territoire (ITF) ou un transfert dans le cadre du règlement de Dublin. Bien que les personnes retenues dans les CRA n’ont pas commis de délit, il ne s’agit pas de prisons à proprement parler mais ce sont néanmoins des lieux privatifs de liberté exigus où le droit n’y est pas toujours respecté. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a d’ailleurs dénoncé la « carcéralisation » dans les CRA.
Dans la plupart des cas, la durée de rétention de ces personnes s’explique par la nécessité d’obtenir un laissez-passer consulaire, pouvant s’étendre sur plusieurs jours ou semaines. En 2023, 75 % des Algériens, Tunisiens et Marocains placés en rétention n’ont pas été expulsés, ces nationalités représentant près de la moitié des personnes retenues en France. Sur les 16 969 retenus en métropole cette année-là, seulement 35,9 % ont été éloignés, les deux tiers ayant été soit libérés, soit assignés à résidence.
Bien que le délai maximal de rétention soit de 90 jours selon le CESEDA, nombreuses sont les personnes qui y ont été retenues plus longtemps en raison de rétentions successives. De plus, ceux qui se voient imposer une ITF après une condamnation pour obstruction au renvoi peuvent être transférés en détention, entraînant un cycle sans fin entre rétention et détention.
Notons que la France se distingue au sein de l’Union européenne par son nombre élevé de mesures d’éloignement. En 2022, elle a été responsable d’un tiers des expulsions dans l’Union, un chiffre qui soulève des inquiétudes sur le respect des droits des personnes exilées. Bien que la majorité des retenus soient des hommes, des enfants ont été enfermés dans les CRA de l’Hexagone jusqu’en janvier 2024. Cette pratique y est désormais interdite, elle reste néanmoins en vigueur à Mayotte jusqu’en 2027 où plus de 3 000 enfants étaient retenus en 2023, soit 40 fois plus qu’en métropole.
De plus, les placements illégaux se sont multipliés en 2023, comme au CRA de Palaiseau, où furent placés en rétention deux Français, deux mineurs reconnus par la justice et deux personnes protégées par la France (statut de réfugié et protection subsidiaire). La Convention de Genève de 1951 interdit pourtant clairement l’expulsion de personnes protégées vers des pays où leur vie est menacée. De plus, des expulsions ont été effectuées alors que les procédures étaient encore en cours, ce qui est tout à fait illégal, ce fut observé dans de nombreux CRA, notamment celui de Mesnil-Amelot.
Les CRA sont également des espaces où l’accès aux droits fondamentaux, tels que le droit à un recours ou à la santé, est sévèrement limité, provoquant une dégradation de l’état de santé mentale des retenus, déjà éprouvés par leur parcours d’exil. En 2023, une augmentation alarmante des actes d’auto-agression, y compris des tentatives de suicide, a été constatée.
Ainsi, la proposition de Bruno Retailleau s’inscrit dans une tendance inquiétante de durcissement envers les personnes migrantes. Bien que l’allongement du délai de rétention soit censé nécessiter la création de nouveaux centres pour atteindre 3 000 places, de nombreuses associations jugent cette mesure inutile pour l’exécution des éloignements. En 2023, malgré une hausse du nombre total de mesures d’éloignement, les expulsions depuis les CRA ont diminué, prouvant que la rétention n’est pas indispensable. En effet, alors que le nombre de personnes retenues augmente, les éloignements n’augmentent pas en proportion. Ainsi, bien que près de 1 000 personnes supplémentaires aient été enfermées, environ 1 000 expulsions de moins ont été réalisées depuis les CRA, illustrant une politique de fermeté qui accentue l’enfermement sans entraîner une hausse des expulsions, avec des conséquences graves sur la santé des personnes concernées.
Sources:
Rapports de Force, Bruno Retailleau veut la rétention au-delà de 90 jours: c’est déjà parfois le cas, 17/10/2024
URL : https://rapportsdeforce.fr/analyse/bruno-retailleau-veut-la-retention-au-dela-de-90-jours-cest-deja-parfois-le-cas-101722319
Acte-Juridique, Le centre de rétention du Mesnil-Amelot « abandonné par l’État, 25/08/2024
URL : https://www.actu-juridique.fr/libertes-publiques-ddh/le-centre-de-retention-du-mesnil-amelot-abandonne-par-letat/
Rapport National et Local « Centres et Locaux de rétention administrative », Forum réfugiés, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte, 30/04/2024.
Vie Publique, Interview de M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur, à France 2 le 15 octobre 2024, sur une nouvelle loi immigration, l’aide médicale d’Etat, la circulaire Valls et le traitement de la demande d’asile.
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