Journée de la visibilité transgenre, la France sur la voie des Etats-Unis?

Aujourd’hui, dimanche 31 mars 2024, se tient la journée de la visibilité transgenre. Une journée mondiale et annuelle destinée à célébrer la visibilité des personnes transgenres ainsi qu’à faire prendre conscience des inégalités auxquelles la communauté trans fait face. Car bien que nous soyons en 2024, les droits des personnes transgenres se voient reculer petit à petit dans plusieurs pays. Etats-Unis ou France, de multiples militants et professionnels tirent la sonnette d’alarme et montrent leurs inquiétudes.

Aux Etats-Unis, les “anti-trans bills” (lois anti trans) ne font qu’augmenter dans plusieurs États. L’association Trans Legislation Tracker, site recensant toutes les lois anti-transgenres des Etats-Unis, reporte seize lois votées depuis le début de l’année 2024 dans huit États différents (Alabama, Floride, Idaho, Indiana, Ohio, Utah, Wisconsin, Wyoming)1.

Par exemple, dans le Wyoming, la loi des droits parentaux dans l’éducation, oblige les écoles à avoir une autorisation écrite des parents ou gardiens légaux de l’enfant, pas plus vieille d’une journée, pour que l’élève participe ou reçoive un cours abordant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre2.

En Alabama cette fois, une loi oblige les écoles et lieux d’éducation supérieure de faire en sorte que les toilettes soient utilisées par “les individus se basant sur leur sexe biologique”, ou encore que les écoles et institutions de l’Etat, promeuvent des programmes pour la diversité, l’équité et l’inclusion. de promouvoir des programmes promouvant la diversité, l’équité, et l’inclusion3.

Aux Etats-Unis, ces lois inquiètent déjà depuis quelques années. Une des lois ayant fait énormément de bruit est passée en 2022, il s’agit de la loi “Don’t Say Gay” en Floride. Cette loi interdit aux professeurs et autres personnels éducatifs d’aborder des problèmes auxquels les personnes LGBTQ+ font face. Ils n’ont pas non plus le droit d’invoquer n’importe quel sujet concernant la communauté LGBTQ+, ou juste d’en parler. Human Rights Campaign, une association pour les droits LGBTQ+ parlait d’une loi qui ne ferait que stigmatiser les personnes LGBTQ+ et isoler les enfants LGBTQ+4.

En France, aussi, les inquiétudes montent. En effet, le 19 mars dernier, un rapport sur les transitions de genres pour les mineurs a été déposé à l’Assemblée nationale. Une proposition de loi portée par Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR, sera alors déposée avant l’été. D’après Le Nouvel Obs, la sénatrice estime que beaucoup de mineurs trans seraient sous « l’influence woke des Etats-Unis » et les transitions des mineurs représenteraient « un des plus grands scandales éthiques de l’histoire de la médecine»5. Le rapport parle de “scandale sanitaire”, de “contagion social”, ou encore de “détransition douloureuse”. La sénatrice recommande dès lors une prise en charge psychiatrique pour accompagner les jeunes dans leur mal-être.

Le rapport remet donc en cause la “circulaire Blanquer”, une circulaire censée aider à accompagner les élèves transgenres dans les écoles. Certains élus accusant le texte de faire passer une “idéologie trans” dans les écoles6

La sénatrice et le rapport assurent que le nombre de mineurs en transition est en explosion. Pourtant Elie Bouet, référent LGBTQIA+ du Planning Familial confie au Nouvel Observateur que « pour près de 180 000 consultations en trois ans, nous avons reçu 12 mineurs trans ou en questionnement » et dénoncent une panique morale.  De plus, aucun chiffre officiel n’existe en France sur les transitions de mineurs.

Jean Chambry, pédopsychiatre et chef de pôle au Centre intersectoriel d’accueil pour adolescent, admet dans Le Monde, une hausse des besoins au début des années 2010 en disant  « Et pour cause, on partait de rien – ou presque » avant d’ajouter « On a vu une augmentation importante des demandes il y a dix ans, puis ça s’est stabilisé il y a deux, trois ans, sans qu’on ait l’impression d’une explosion aujourd’hui »7.De plus, si les chiffres augmentent ce n’est pas tant par effet de mode que par la plus grande liberté à pouvoir faire son “coming-out”. Une Tribune de Libération compare cela à la dyslexie « les enseignants sont mieux formés pour repérer les enfants qui en souffrent, les chiffres augmentent, mais on peut raisonnablement supposer que la part de la population souffrant de dyslexie reste constante » Note : Tribune « Transgenres et intersexes : les enfants sont des personnes » collectif, Libération, 31 mars 2021.

Professionnels et associations, ils sont plusieurs à contester ce rapport et la décision de la sénatrice. D’après Le Monde, à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, sur les 240 jeunes patients de 3 à 20 ans suivis, en dix ans, 11 % ont eu des bloqueurs de puberté (âge moyen 13,9 ans). Toujours dans le même hôpital, trente patients ont eu une chirurgie du torse, pour un âge moyen de 18,44 ans. Les chirurgies génitales ne concernent que les majeurs.

D’autres professionnels, associations, personnes transgenres, et parents d’enfants transgenres, assurent que la prise de bloqueur de puberté aide les jeunes et améliorent leur santé mentale, participant à la diminution de la dysphorie de genre (“État de mal être profond ressentie par les personnes trans, qui expérimentent des situations d’inadéquation entre leur identité de genre vécu et le genre assigné à leur naissance sur la base des organes génitaux.” – SOS Homophobie8). Rappelons que le taux de suicide chez les personnes transgenres est sept fois plus élevé que chez les personnes cisgenres. 

De plus, Le Monde, rapporte que la Société d’endocrinologues et l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH) estime que le rapport entre les bénéfices et les risques, est “en faveur du recours aux bloqueurs comme aux hormones »9.

Franceinfo rapporte les dires de Maryse Rizza, présidente de l’association Grandir trans, réunissant les parents d’enfants transgenres. Elle explique qu’il faut bel et bien encadrer le processus avec l’aide de médecins, mais “interdire les bloqueurs de puberté, alors que certains enfants expriment une transidentité dès l’âge de 3 ans, c’est condamner à mort des adolescents” étant donné que les jeunes personnes transgenres sont plus exposées aux idées et conduites suicidaires. La présidente de l’association demande une augmentation du nombre de centres spécialisés, ces derniers étant peu nombreux et dont les temps d’attente peuvent dépasser un an.

Une autre inquiétude est que l’un des acteurs du groupe de recherche du rapport apporté devant l’Assemblée nationale, est l’Observatoire de la Petite Sirène. Une organisation souvent dénoncée par de nombreuses associations pour leurs prises de position considérées comme anti trans.

C’est donc dans ce contexte où les droits des personnes trans sont retirés dans plusieurs pays, que pour cette journée de la visibilité transgenre est indispensable. Nous devons nous rappeler la nécessité de protéger et de permettre l’accompagnement des personnes transgenres, en France, en Europe et partout dans le monde. 

Finalement, les droits des personnes transgenres représentent la possibilité d’une société qui ne serait plus binaire et de fait plus patriarcale. Si exposer des personnes aux hormones est un problème dans le cas d’une transition, il ne l’est pas pour une contraception à l’instar de la pilule contraceptive, signe de la construction d’un problème qui vient briser les statu quo de la société patriarcale.

  1. 2024 Anti-Trans Bills: Trans Legislation Tracker’, https://translegislation.com. ↩︎
  2. WY SF0009 Anti-Trans Legislation’, https://translegislation.com/bills/2024/WY/SF0009. ↩︎
  3. AL SB129 | Anti-Trans Legislation’, https://translegislation.com/bills/2024/AL/SB129. ↩︎
  4. Human Rights Campaign on DeSantis’s “Don’t Say Gay or Trans” Law Going into Effect, Targeting LGBTQ+ Youth and Turning Back the Clock on Equality – Human Rights Campaign’, https://www.hrc.org/press-releases/human-rights-campaign-on-desantiss-dont-say-gay-or-trans-law-going-into-effect-targeting-lgbtq-youth-and-turning-back-the-clock-on-equality ↩︎
  5. Mineurs trans : « La droite veut les faire disparaître de l’espace public »’, Le Nouvel Obs, 2024, https://www.nouvelobs.com/societe/20240323.OBS86116/offensive-des-senateurs-lr-sur-les-mineurs-trans-la-droite-veut-les-faire-disparaitre-de-l-espace-public.html ↩︎
  6. Des sénateurs LR veulent interdire les transitions de genre chez les mineurs, des associations craignent “l’effacement des enfants trans”’, Franceinfo, 2024, https://www.francetvinfo.fr/societe/lgbt/des-senateurs-les-republicains-veulent-interdire-les-transitions-de-genre-chez-les-mineurs-des-associations-craignent-l-effacement-des-enfants-trans_6434254.html ↩︎
  7. Mineurs transgenres : familles et professionnels de santé s’inquiètent de la mise en cause des parcours de soins’, Le Monde, 29 mars 2024, https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/03/29/mineurs-transgenres-familles-et-professionnels-de-sante-s-inquietent-de-la-mise-en-cause-des-parcours-de-soins_6224797_3224.html ↩︎
  8. Dysphorie de genre | SOS homophobie’, https://www.sos-homophobie.org/informer/definitions/dysphorie-de-genre ↩︎
  9. Mineurs transgenres et hormonothérapie : ce que dit la science’, Le Monde.fr, 29 March 2024, https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/03/29/mineurs-transgenres-et-hormonotherapie-ce-que-dit-la-science_6224849_3224.html ↩︎

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