La loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été votée il y a cinquante ans le 17 janvier 1975 grâce à la lutte acharnée des féministes. Ce projet de loi porté par Simone Veil a permis de dépénalisé l’avortement en France. Quand cette loi est passée, il était estimé que chaque année 500 000 femmes avaient recours à l’avortement. Il s’agissait d’avortements clandestins pratiqués à l’étranger pour les personnes les plus fortunées ou avec des techniques dangeureuses telle que l’aiguille à tricoter, pour les personnes les plus démunies. Aujourd’hui, l’interruption de gestation est possible en France jusqu’à 14 semaines de gestation, soit à peu près 3 mois et demi. Par quelles luttes ce droit fondamental a été obtenu et comment se fait-il qu’il soit toujours au centre de débats sociétaux cinquante ans plus tard ?
Un tournant historique pour les droits humains
Le droit à l’avortement défendu depuis des années par les féministes, prend un nouveau tournant en 1971 suite à la parution du « manifeste des 343 ». 343 personnes célèbres déclarent avoir eu recours à l’avortement et réclament la légalisation de l’IVG. Un deuxième évenement va remettre en question cette interdiction un an après : le procès à Bobigny de Marie-Claire Chevalier, mineure ayant avorté grâce à l’aide de trois femmes dont sa mère suite à un viol. Ses avocates Gisèle Halimi et Monique Antoine ont amplement œuvré en faveur de la légalisation. Malgré les divergences des mœurs françaises sur la question, l’Assemblée nationale adoptera en décembre 1974 le droit à l’interruption volontaire de gestation. Cette dernière sera remboursée en 1982 et prévenue par l’introduction de la pilule d’urgence.
Pourquoi l’avortement est un droit fondamental ?
« Toute personne dispose du droit à la vie (dès la naissance), du droit au respect de la vie privée, du droit à la santé, du droit à l’égalité et à une protection égale devant la loi, sans discrimination, ainsi que du droit de ne pas subir de violence, de discrimination, d’acte de torture ou d’autres formes de mauvais traitements. Amnesty International reconnaît que le droit à un avortement sécurisé fait partie des éléments essentiels permettant de garantir la protection de chacun de ces droits. Les droits humains sont universels, indissociables et intimement liés. Cela signifie que les droits sexuels et reproductifs, notamment le droit à l’avortement, sont fondamentaux pour la réalisation pleine et entière de tous les autres droits ».
Garantir l’accès à l’avortement, c’est garantir l’égalité entre tous. C’est garantir à tous la liberté de disposer de son corps.
Pourtant même en ayant dit cela, pourquoi garantir l’avortement est si important ? Cette question peut se revéler complexe à répondre. Si vous cherchez la réponse exacte à cette question sur internet, les premiers résultats seront majoritairement des sources qui expliquent comment il faut garantir ce droit mais sans donner la raison. Pouvoir avorter, c’est pouvoir ne pas élever un enfant non-désiré quand on est seul.e, malade, mineur.e, victime d’un viol et/ou d’inceste, dans une situation familiale/financière/professionnelle/sociétale compliquée, ou quand on ne souhaite juste pas d’enfant, plus d’enfant, pas encore d’enfant, pas d’enfant avec cette personne ou d’enfant sans cette personne. Souhaiter un avortement peut être dû à des complications de santé pour la personne gestante et/ou pour le fœtus. Pouvoir avorter c’est pouvoir choisir. C’est pouvoir prioritiser sa propre personne, sa propre vie. Le droit à l’IVG est fondamental car il permet de réduire les discriminations de genres et plus généralement les discriminations sociétales. Il permet à deux personnes n’ayant pas les mêmes moyens de pouvoir accéder également à un avortement.
Quel accès à l’IVG en 2025 ?
Aujourd’hui en France, l’IVG est accessible à tous.tes, français.es ou non, majeurs.es ou mineurs.es. Pour les personnes de moins de 18 ans, l’IVG peut être faite sans l’autorisation d’un parent et anonymement mais accompagnées d’une personne majeure de confiance. Cette intervention est intégralement prise en charge par l’Assurance maladie. La personne souhaitant recourir à l’IVG doit d’abord en parler à un.e médecin, gynécologue ou sage-femme, ou bien se rendre au planning familial ou dans un centre de santé sexuelle. Cette première étape est la consultation d’information, elle permettra notamment, dans le cas où la personne est allé.e chez un.e médecin, de savoir s’iel pratique l’IVG. Dans le cas où iel refuse de le faire, il doit référer le.a patient.e vers un.e autre professionnel.lle qui pourra faire l’IVG. L’étape suivante est de déterminer depuis combien de temps la personne est enceinte, pour pouvoir pratiquer l’IVG avant le délai de 14 semaines. Ensuite, le.a professionnel.lle de santé proposerait une consultation psychosocial, obligatoire uniquement pour les mineurs.es. L’étape suivante est à nouveau un rendez-vous médical où la personne indiquera s’iel avortera ou non, et où et comment si c’est le cas. Il existe deux manières en France d’avorter : la méthode médicamenteuse, un médicament qui déclenchera l’avortement et l’opération sous anesthésie locale ou générale. Il faut savoir que la méthode médicamenteuse est possible seulement avant 7 semaines de gestation, au delà de cette période, seule l’opération est possible en France. Quelques jours après l’avortement, la personne aura un dernier rendez-vous médical pour s’assurer qu’iel va bien.
Le 4 mars 2024, a été ajouté à l’article 34 de la Constitution de la Ve république « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de « grossesse ». Même s’il s’agit d’une avancée en faveur des droits des femmes, cela n’améliore pas la situation. Une personne sur quatre doit se rendre dans un autre département à cause des déserts médicaux, la clause de conscience sur l’IVG est toujours en vigueur et utilisée, il n’y a pas eu de campagne nationale de prévention sur la contraception depuis une dizaine d’années. Il est aussi de plus en plus fréquent que la seule méthode d’IVG possible soit la médicamenteuse (rappelons que le délai est plus court) suite à la multiplication des fermetures de blocs opératoires, de maternités et des services d’orthogénie pourtant dédiés à l’IVG. Les délais pour obtenir un rendez-vous pour avorter se sont rallongés, l’OMS recommande 5 jours, alors qu’en France il faut attendre jusqu’à une semaine en moyenne. À cela s’ajoute aussi le manque de moyens financiers des plannings familiaux, entraînant la fermeture de certains centres. De plus, selon une étude Ifop de 2024, 80% des personnes ayant avorté disent avoir subi des pressions de la part de professionnels de santé ou de leur entourage.
Dans les faits, en 2025, une personne vivant en milieu rural ou avec peu de moyens souhaitant recourir à un avortement ne dispose pas d’un accès garantit.
La remise en cause du droit à l’avortement dans le monde
En juin 2022 aux États-Unis, l’arrêt Roe v Wade qui accordait le droit à l’avortement depuis 1973 a été annulé par la Cour Suprême. Cela a eu pour conséquence la promulgation dans 21 États états-uniens de restrictions sur le droit à l’avortement, une atteinte grave aux droits humains conduisant à de nombreux décès de personnes n’ayant pas pu avorter alors que leur vie en dépendait.
En octobre 2020, la Pologne interdisait l’avortement sauf si la vie ou la santé de la personne enceinte était en danger. Selon Le Monde, cela représentait « 90% des IVG jusqu’à là pratiquées légalement à rejoindre la « clandestinité » ». Suite à l’élection du nouveau Premier ministre Tusk, les défenseurs de l’IVG avaient espoir que ce droit soit retrouvé. Pourtant, malgré la proposition devant le Parlement en avril 2024 de quatre projets de loi pour le droit à l’avortement, le Parlement polonais a rejeté en juillet 2024 la dépenalisation de l’aide à l’avortement.
Malgré le vote favorable au Parlement argentin pour la législation de l’IVG en juin 2018, le Sénat rejettera le projet de loi en août. Ce n’est que le 30 décembre 2020 que l’Argentine légalisera l’IVG jusqu’à 14 semaines de gestation.
L’accès à la contraception est encore insuffisant dans le monde, de nombreuses IVG demeurent clandestines et pratiquées dans des conditions dangereuses. Les femmes ont toujours avorté et continueront de le faire, que l’État le veuille ou non. La différence sera seulement dans la manière dont l’avortement sera fait et le risque encouru.
Références :
Amnesty International France. (4 mars 2024). « 50 ans de la loi Veil : le long parcours de l’avortement en France ».
Le Monde. (17 janvier 2025). « 50 ans de la loi Veil : « L’avortement libre et gratuit est la grande cause qui fédère les mobilisations féministes en France au début des années 1970 ».
Amnesty International. (26 janvier 2024). « Pourquoi intégrer le droit à l’avortement dans la Constitution française ? ».
Public Sénat. (5 mars 2024). « IVG : après la Constitution, l’enjeu des difficultés d’accès pour les femmes est sur la table ».
Franceinfo. (26 septembre 2024). « Accès à l’IVG : 82% des femmes ayant eu recours à un avortement reconnaissent que des friens subsistent ».
Amnesty International France. (20 septembre 2024). « Droit à l’avortement aux États-Unis : les conséquences de l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade ».
Le Monde. (9 janvier 2023). « Pologne : les ravages des restrictions d’accès à l’IVG ».
Le Monde. (30 octobre 2024). « En Pologne, de petites avancées pour les femmes et les LGBT+ ».
Amnesty International France. (30 décembre 2020). « L’Argentine légalise l’avortement, une victoire historique ».
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